10 hypothèses pour comprendre l’inaction climatique des Québécois·es

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Changement de normes sociales

10 hypothèses pour comprendre l’inaction climatique des Québécois·es

 

(1) L’action climatique, mais encore ?

Cette hypothèse renvoie à la complexité du concept « d’action climatique ». D’abord, il y a le fait qu’elle concerne à la fois les choix et les comportements individuels, mais aussi la responsabilité climatique pour plusieurs personnes en poste de décision au travail. Plus encore, lorsqu’il est question de comportements individuels, il y a le fait que ce n’est pas UN comportement que l’on demande de changer, mais UN ENSEMBLE de comportements qui, pris ensemble, définissent notre mode de vie. Le message s’en trouve donc diffus. Pour l’individu A, agir pour le climat n’a pas le même sens que pour l’individu B. Cela ouvre la voie à ce que chacun choisisse l’action minimum, celle qui a le moins d’impact sur son quotidien.

Cette particularité pose un problème bien concret car la théorie du changement des normes sociales présuppose que l’on travaille sur un comportement spécifique. En matière de transport, les motivations, les barrières, les alternatives seront différentes qu’en matière de choix alimentaires, par exemple. Par définition, une stratégie visant à réduire l’utilisation de la voiture sera différente d’une stratégie visant à réduire la consommation de viande. Ainsi, on a un enjeu de précision quand on parle d’action climatique. Considérant l’éventail d’actions qui peuvent être accomplies pour réduire notre impact sur le climat, il sera nécessaire cibler et prioriser les normes à changer, et de développer non pas une, mais des stratégies, chacune avec l’objectif propre d’agir sur une norme en particulier.

(2) L’inadéquation entre le problème et les actions demandées

Parce que l’enjeu reste somme toute éloigné des individus et que ces derniers se sentent peu menacés à court terme (nous y revenons à l’hypothèse #5), le problème des changements climatiques demeure essentiellement un problème politique, par opposition à un problème concret, qui les touche directement, comme la fumée secondaire du tabac par exemple. Toutefois, les changements qu’on leur suggère de faire, eux, touchent directement à leur mode de vie. Il y a donc une déconnexion entre le problème (les changements climatiques) et l’action demandée (par exemple, délaisser leur voiture). On me demande de faire un sacrifice important pour régler un problème qui touche toute la société, et encore, dont on me dit que les conséquences se manifesteront surtout dans le futur. Or, le choix d’utiliser une voiture n’a rien à voir avec le climat, c’est une décision qui se prend sur la base d’autres paramètres. De façon pragmatique, si l’on veut que les gens délaissent leur voiture, pour poursuivre avec cet exemple, il faudra être en mesure de lier la décision à des difficultés découlant de l’utilisation de la voiture.

(3) L’absence d’un projet de société emballant

Autre enjeu d’importance : actuellement, le projet de société autour de la carboneutralité est flou, pour ne pas dire inexistant. On sait que c’est en bonne partie notre mode de vie qui pose problème, mais on ne propose rien d’emballant pour le remplacer. Alors du point de vue de l’individu, tout ce que l’on propose, ce sont des pertes. Perte de liberté. Perte de confort. Pertes financières. Perte de potentiel d’épanouissement. Rien pour susciter l’envie d’embarquer dans le mouvement!

Dans tous les cas où l’on a vu des changements de normes sociales, il y avait un but, un idéal commun qui portait la promesse d’un après meilleur. Si l’on doit demander aux Québécois.es de transformer radicalement leur mode de vie, il faut qu’ils puissent se projeter dans un nouveau mode de vie qui améliore leurs chances de bonheur et d’épanouissement. A quoi ressemble ce Québec carboneutre de demain et en quoi ma vie dans ce Québec sera-t-elle meilleure que celle que je vis aujourd’hui? Voilà la question que la population se posera, et il faut lui apporter des réponses.

Suivant cette logique, on se trouvera fort probablement à aborder des thématiques qui dépassent la stricte question des GES. Quels sont les irritants associé au mode de vie actuel ? Un rythme effréné ? Un sentiment d’être constamment sous pression pour joindre les deux bouts ? Une déconnexion avec la nature ? L’effritement de nos liens sociaux ? Le manque de repères identitaires communs ? Ce genre d’éléments doit faire partie de la réflexion.

Une démarche réalisée à l’aide d’une méthodologie développée par l’Institut Idée et qui vise à identifier les motivations profondes derrière les comportements humains dans une problématique donnée a livré des conclusions intéressantes. Selon cette analyse, qui s’intéresse au ressenti et non au rationnel, il y aurait essentiellement deux points de départ à l’itinéraire émotionnel qui permet d’amener une personne à se mettre résolument en action pour prendre soin de notre planète. D’une part, il y aurait le fait d’avoir acquis la conviction sincère que c’est la bonne chose à faire. On peut penser qu’on rejoint ici les personnes déjà converties à la cause climatique. L’autre point de départ, et c’est là que cela devient inédit, serait le fait de réaliser que l’action posée en faveur du climat me fait me sentir bien. Justement, le Baromètre de l’action climatique (2021) établit que le fait d’adopter des gestes concrets génère un sentiment de fierté pour 79 % de la population, de bonheur pour 74 % et d’utilité pour 79 %.

Voilà qui nous amène dans un autre registre qu’un certain discours environnemental traditionnel axé sur les dangers et les privations.

(4) Le manque d’alternatives aux comportements à changer, surtout en matière de transport et d’habitation

Ce n’est un secret pour personne : le Québec a largement privilégié un modèle de développement basé sur l’automobile et le transport routier et a été largement négligeant à développer des systèmes de transport collectif efficaces. Son développement urbain a été axé sur la maison unifamiliale et l’offre d’habitation en densité conçue pour les familles est rare pour ne pas dire inexistante. Nos centres de consommation sont conçus en fonction de la voiture : centres commerciaux, supermarchés, etc. Les infrastructures pour le transport actif sont déficientes, notamment dans plusieurs quartiers résidentiels suburbains où l’on n’a souvent même pas de trottoir. Bref, même avec une forte volonté d’agir, les Québécois.es sont confrontés au peu de solutions de rechange.

(5) Un enjeu trop éloigné des individus

Les Québécois.es se disent fortement conscientisés à l’importance d’agir pour le climat, mais personnellement, se sentent peu menacés par les changements climatiques à court terme. À ce sujet les données du Baromètre de l’action climatique (2021) sont éloquentes : 22 % qualifient d’élevés à très élevés les risques à court terme des changements climatiques pour eux personnellement. La proportion grimpe à 24 % en ce qui concerne leur famille, puis à 29 % en ce qui concerne leur localité, à 39 % pour le Québec, 46 % pour le Canada et enfin, 65 % pour le monde. En d’autres termes, plus c’est éloigné d’eux, plus la perception de la menace est grande.

Qui plus est, un nombre relativement restreint de personnes ont déjà vécu des perturbations liées aux changements climatiques, ceci expliquant probablement cela. La proportion totale qui disent avoir vécu de telles perturbations atteint 56 %, mais cela comprend le fait d’avoir été témoin d’événements météorologiques extrêmes, sans que cela ait nécessairement causé un dommage à leur bien, pour lequel la proportion atteint 50 %. Les pourcentages sont beaucoup plus faibles lorsqu’il est question des problèmes de santé découlant des changements climatiques (17 %), d’avoir subi un dommage à sa propriété immobilière (16 %) ou d’avoir subi des pertes financières (15 %).

(6) Les Québécois.es jugent mal l’efficacité de certaines actions climatiques

Toujours selon le Baromètre de l’action climatique (2021), les Québécois.es surestiment l’impact climatique de plusieurs gestes quotidiens. Ainsi, 77% jugent que de favoriser l’utilisation d’une bouteille d’eau réutilisable est une action qui contribue fortement à réduire les GES, alors qu’en fait, sur une année, une telle action ne permet qu’une économie de 28 kg d’équivalent de CO2. Même chose avec l’achat de fruits et de légumes frais, jugé très efficace par 71% de la population, alors que la réduction de GES se chiffre à 81 kg (éq. CO2) annuellement. Les Québécois·es identifient en plus faible proportion d’autres actions beaucoup plus efficaces pour le climat comme atteindre l’objectif de zéro gaspillage alimentaire (68%), qui a le potentiel de réduire les GES de 1643 kg par année, le recyclage de toutes les matières premières acceptées (75%), à même de réduire les GES de 559 kg ou encore le compostage résidentiel (66%), à même d’engendrer une diminution de 607 kg par année. Manifestement, il y a des déficiences dans la littératie climatique des Québécois·es.

(7) C’est la faute des autres

Si les Québécois estiment généralement que le Québec a la capacité d’agir efficacement contre les changements climatiques (79 %), seuls 33 % jugent que la majorité de la population pose les gestes nécessaires pour y arriver. Nous n’avons donc pas confiance dans les autres. Pire, les répondants du Baromètre estiment que les principaux acteurs (individus, PME, grandes entreprises, gouvernements, etc.) ne font ce qu’ils ou elles doivent faire que dans une proportion variant de 7 à 14 %. Et 62 % affirment ressentir une certaine forme d’impuissance vis-à-vis de l’action climatique.

(8) Des débats polarisés

Cette hypothèse concerne la difficulté de plus en plus manifeste à tenir des débats sociaux raisonnés, dans un univers polarisé où les opinions sont rapidement cristallisées. Les médias sociaux et leurs chambres d’écho renforcent les divisions et contribuent à l’enjeu de littératie climatique, répandant des opinions sous forme d’injonction auxquelles on adhère davantage par association que par raison. Le phénomène des trolls et de l’intimidation en ligne rend encore plus difficile l’expression de points de vue qui sortent du moule. Ces univers laissent peu de place aux opinions nuancées ou à l’indécision. Dans ce contexte, il devient encore plus important de fonder nos débats sur des valeurs auxquelles adhère une grande partie de la population.

(9) Des croyances tenaces quant aux bienfaits du système économique de marché

Les Québécois.es sont attachés au système économique de marché et entretiennent la conviction que celui-ci contribue à leur confort et leur procure de nombreux bienfaits. Mais comment réduire quand le principal critère de succès dans nos sociétés occidentales industrielles est la croissance ? Ce paradigme constitue, en soi, un frein important à l’action climatique. Il sera nécessaire d’entreprendre une réflexion pour mieux comprendre cette relation des Québécois.es avec le système économique national et mondialisé, de manière à identifier d’autres paramètres permettant de mesurer la croissance dans un contexte où il faut réduire l’utilisation des ressources planétaires. Le terme « richesse » est aussi appelé à être redéfini. Comment savoir ce qui aura de la valeur dans 10, 20 ou 30 ans ? Cette réflexion devrait notamment s’orienter vers la recherche d’une meilleure réponse aux besoins des personnes plutôt que la production croissante de richesse.

(10) Le manque de volonté politique

Après avoir fait campagne en 2018 en accordant peu de place à la question climatique dans sa plateforme électorale, le premier ministre François Legault et son gouvernement ont présenté le Plan pour une économie verte en 2020. Ce plan prévoit des actions permettant d’atteindre la moitié des réductions de GES nécessaires pour répondre aux engagements de l’accord de Paris, ce qui lui a valu des critiques dans les milieux environnementaux. Le ministre de l’environnement a justifié son approche en la qualifiant de réaliste, affirmant qu’elle se basait sur les meilleures connaissances et technologies disponibles aujourd’hui, préférant éviter de formuler des hypothèses hasardeuses tablant sur l’évolution de ces dites technologies. Au plan des perceptions, toutefois, cela a donné l’impression à plusieurs que ce gouvernement ne prenait pas la pleine mesure de l’urgence de la situation.

Du côté fédéral, on projette une image plus sensible à l’enjeu, du moins dans les discours et dans les symboles. Le Parti libéral de Justin Trudeau ne ménage pas les efforts pour se positionner comme un parti qui agit pour l’environnement. La nomination de Steven Guilbault au poste de ministre de l’Environnement est aussi un symbole fort. Cependant, l’engagement du gouvernement fédéral en faveur du projet pétrolier Bay du nord, quelques semaines à peine après la présentation du plan climatique par le ministre Guilbault, est venu jeter une bonne dose de scepticisme sur la volonté réelle du gouvernement.

Le milieu municipal au Québec montre pour sa part un leadership nouveau. Les élections municipales de novembre 2021 ont porté au pouvoir une vague de maires et de mairesses, plus jeunes, pour qui l’action climatique est au cœur de la vision politique. On parle ici des plus grandes villes du Québec : Montréal, Québec, Longueuil, Laval, Sherbrooke, Trois-Rivières, Gatineau et plusieurs autres. Sachant les leviers qu’ont les municipalités pour intervenir sur nos milieux de vie et, de ce fait, influencer grandement nos comportements quotidiens et les normes sociales qui y sont rattachées, cela représente une opportunité plus qu’intéressante.

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